vendredi 6 janvier 2012

Caprices de la nature

Je m'engage sur la route des 7 Lacs dans le brouillard. Très vite, je réalise que ce que j'avais pris pour une brume matinale est en fait un nuage de cendres volcaniques du volcan Puyehue. Ce volcan, situé dans le complexe volcanique du Cordon Caulle, à quelques dizaines de kilomètres à vol d'oiseau de l'autre côté de la frontière s'est réveillé le 5 juin dernier par une violente explosion.
Depuis, il crache régulièrement ses cendres dont la plus grande partie, portée par les vents dominants d'ouest, termine sur le sol argentin. Pour un observateur étranger comme moi, ce dernier point est comique. Les relations qui n'étaient déjà pas bonnes entre les deux pays ne vont ainsi pas s’arranger avec cet épisode. Car les conséquences économiques sont colossales pour l'Argentine, avec un trafic aérien fortement perturbé et une fréquentation touristique inférieure à près de 80 % dans la région.
Le comique s'arrête donc là d'autant plus que ces cendres ont également des conséquences néfastes pour moi. Le nuage me prive d'abord de toute vue alors que j'évolue sur une route réputée comme étant l'une des plus belles d'Amérique du Sud. Ensuite, même s'il n'y a aucun danger à respirer ces cendres seulement quelques jours, celles-ci provoquent une irritation et un assèchement de la gorge. Enfin, ces cendres sont corrosives et donc mauvaises pour le matériel.
Mais ça n'est pas tous les jours que l'on a la chance de pouvoir évoluer à proximité d'un volcan en éruption. Je ne pouvais pas rater cela !


La route est asphaltée et me permet d'avancer rapidement dans ce nuage de cendre jusqu'à ce que je crève de l'arrière. Je change de chambre à air et me remet en route, mais une dizaine de kilomètres plus loin, je crève de nouveau à l'arrière. Cette fois, sous un soleil de plomb, attaqué par une horde d'insectes ressemblant à des taons et les pieds dans dix centimètres de cendres, je m’attelle à la réparation car je n'ai plus de chambre de secours. Je voulais en acheter à San Martin mais avec l'épisode du vol de lunettes j'ai complètement oublié. Un oubli qui aurait pu me coûter cher …
En effet, une fois la rustine posée je découvre une deuxième crevaison, puis une troisième ! Je décide alors de réparer l'autre chambre à air : même chose, il n'y a en fait pas un mais une multitude de trous ! Seraient-ce les effets de la cendre volcanique ? Je ne le pense pas, mais en même temps , je n'ai jamais vu ça. Et le problème, c'est que j'arrive au bout de mon stock de rustines et de colle ! Je me retrouve donc comme un imbécile, bloqué sur cette route tout ça à cause d'une chambre à air...


Je démonte alors ¡Caramba! car je n'ai désormais pas d'autre choix que de faire du stop. Mais à part des camions se rendant au chantier tout proche et deux ou trois familles en vacances et dont les voitures sont pleines à craquer, il n'y a pas grand monde sur cette route. Finalement, en fin d'après-midi, je vois arriver deux cyclotouristes. Jonathan et Ricardo, deux argentins de Cordoba, voyagent en vélo pour une dizaine de jours dans la région. 




Ce sont mes sauveurs car ils ont une chambre à air de rechange, qui plus est renforcée et supposée increvable. Et comble du luxe, Ricardo insiste pour s'occuper personnellement de la réparation. Il pose notamment un adhésif sur la jante pour renforcer mon fond de jante. La réparation effectuée, nous repartons ensemble et nous arrêtons quelques kilomètres plus loin, au bord du lac Falkner, lieu splendide et calme, idéal pour planter la tente. Nous passons une magnifique soirée au bord du lac avec deux autres cyclos argentins que Jonathan et Ricardo ont rencontrés ce matin à San Martin.




Le lendemain matin – ou plutôt en fin de matinée - nous reprenons la route à cinq. Comme ils ne voyagent que depuis deux jours, ils n'ont en effet pas les automatismes que j'ai acquis au fil des mois et mettent longtemps à se préparer. Mais je ne suis pas pressé. J'en profite pour admirer le magnifique paysage car ce matin le nuage de cendres est beaucoup moins dense que la veille.
Après quelques kilomètres l'asphalte se termine et laisse place à une piste en mauvais état. Mais cela ne devrait bientôt plus être le cas. Les engins de chantier ont envahis le lieu et préparent le prochain asphaltage de la route. Je ne sais pas s'il faut s'en réjouir car cela va forcément drainer beaucoup plus de monde dans un écosystème encore protégé.


En attendant, la route mérite bien sa réputation, même si la beauté des paysages est un peu gâchée par le va-et-vient des pelleteuses et des camions qui, à chaque fois que nous les croisons, soulèvent une grande quantité de cendres que nous nous prenons en plein visage. Ma position basse – je suis assis à 35 centimètres du sol dans mon trike – renforce en plus mon exposition à la poussière.

Une cascade d'eau glaciale au bord de la route nous permet de nous débarrasser de toute cette poussière et de nous rafraîchir. Malgré cela, les deux cyclistes qui nous accompagnent continuent à souffrir de la chaleur et nous abandonnent quelques kilomètres plus loin pour faire une longue pause. De notre côté nous poursuivons notre route. Une route difficile, avec des « coups de cul » à répétition qui finissent par faire mal aux pattes. Une route qui fait également mal au matériel puisque je casse une nouvelle fois la patte de dérailleur. Mais pas de problème, je suis désormais habitué et je sais exactement quoi faire. J'accroche directement le dérailleur sur l'axe de serrage rapide de la roue et cinq minutes plus tard, c'est reparti ! Ainsi installé, le dérailleur fonctionne parfaitement, même mieux qu'avant !

Malgré une étape courte, nous sommes bien entamés et décidons donc de nous arrêter de bonne heure pour profiter du Lac Espejo, situé à la fin de la route des Sept Lacs. Ici, la quantité de cendres volcaniques tombée depuis six mois est colossale, plus de 40 centimètres d'épaisseur, avec des conséquences dramatiques sur la végétation. Beaucoup d'arbres sont morts et l'herbe se fait rare pour les troupeaux.
Elle a aussi tuée le tourisme. En entrant dans le camping situé à proximité du lac, nous ne découvrons qu'une seule tente. Nous nous rendons ensuite à la plage du lac. Celle-ci est également quasi-déserte alors qu'un local nous apprend qu'elle est normalement bondée en cette période de grandes vacances. En me rapprochant de l'eau, je découvre un paysage d'apocalypse : le lac tout entier ou presque est recouvert de fines pierres volcaniques.


D'une densité très faible, celles-ci flottent. Avantage de la situation, les eaux du Lac Espejo qui sont en temps normal frigorifiques sont à près de vingt degrés, réchauffées par cette forte activité volcanique.
Je passe ensuite une très sympathique soirée avec Ricardo et Jonathan, la dernière, car demain ils prennent la direction de San Carlos de Bariloche et moi, celle du Chili.


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